par Jean-Noël JAUBERT

Résumé

Tout apprentissage demande une forme de communication entre le maître et l’élève. Nous, les humains, avons largement favorisé l’utilisation d’un langage à cette fin. Pourtant qui n’a pas constaté la grande difficulté que nous avons à échanger sur les odeurs, faute d’un vocabulaire adéquat ? Nous voyons deux grandes raisons à ce handicap :

– une grande confusion de trois grandes acceptions au mot odeur qui désigne à la fois l’objet odorant, son caractère organoleptique et les effets qu’il a sur chacun.

– si la désignation de l’objet peut être faite de toute autre manière, si le ressenti reste une expression personnelle, son caractère organoleptique (caractéristique clé) demande la mise en place d’un outil objectif commun, stable et pertinent à la manière de ce qui existe par exemple sur les couleurs. Le code, à la base de cet outil était resté inaccessible tant que la science n’avait pas apporté les connaissances nécessaires.

Le Champ des Odeurs, présenté ici, se propose d’utiliser ces connaissances pour offrir un langage exploitable pour décrire les caractères odorants.

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Apprendre à sentir comme on apprend à voir.

Peut-on s’inspirer de l’apprentissage du langage des couleurs pour l’apprentissage d’un langage des odeurs en utilisant un référentiel olfactif défini et stable analogue à celui des couleurs? Nous présentons ici notre démarche initiée dans les années 80.

Depuis quelques décennies, les chercheurs s’inquiètent de l’absence de l’olfaction dans notre éducation. Ce n’est pas un vide complet car les nez des enfants sont toujours demandeurs et que, malgré tout, l’odorant joue un rôle essentiel dans notre vie, mais cela se fait plutôt de bouche à oreille ou à l’intuition, sans un véritable système éducatif qui permettrait une bonne communication entre les personnes. Heureusement, depuis quelques années on peut saluer d’heureuses initiatives qui tentent de combler cette défaillance. Ce sont le plus souvent soit des neurophysiologistes, soit des parfumeurs/aromaticiens qui souhaitent partager leurs savoirs olfactifs complémentaires. Conjuguer les deux a bien sûr du bon tant la perception olfactive est multi-facette. Mais notre expérience nous a montré qu’une lacune importante existait pour améliorer la communication et donc l’éducation : avoir un langage commun dénué de toute la subjectivité qui le domine actuellement. A titre comparatif, avant d’aborder l’odorat, nous nous tournons vers un sujet que l’on connaît tous : comment acquérons-nous le langage des couleurs ?

Le long chemin de la découverte des couleurs

Je ne me souviens pas comment j’ai appris à identifier et à nommer les couleurs  (rouge, vert, jaune et bleu, par exemple), mais je sais comment je les ai apprises à mes enfants ; très certainement de la même manière. J’ai utilisé une pyramide de deux séries de quatre cubes portant deux à deux une couleur et, non sans plaisir, répété avec eux les mêmes exercices quotidiennement pendant des mois.

Au départ, il faut faire saisir à l’enfant le concept de « couleur », c’est-à-dire isoler mentalement cette caractéristique des autres. Ce n’est pas facile car l’enfant , en voyant ou manipulant un objet, reçoit simultanément de très nombreux signaux sensoriels. Tous les objets sont essentiellement « multi-sensoriels », c’est-à-dire impliquent simultanément plusieurs sens: forme en trois dimensions, taille , texture de surface, couleur(s), dureté, odeur éventuelle, production de sons, etc. De plus, l’environnement est aussi source de signaux : personnes présentes et production de mots, de gestes et de contacts physiques, etc. Comment aider l’enfant à concevoir la notion de couleur, en isolant cette information des autres ?

L’enfant sait très tôt utiliser le « pareil-pas pareil » pour acquérir des catégories mentales . Il peut donc apprendre que le cube rouge et le cube bleu sont pareils, car ils ont la même forme. Mais il peut aussi apprendre que deux cubes rouges sont pareils car ils ont la même forme et la même couleur. De même, un cube rouge et une balle rouge sont pareils car ils ont la même couleur, en dépit de formes différentes. Il faut bien des répétitions, et des exercices (dirigés) de tri, pour que l’enfant apprennent à utiliser la couleur comme critère pertinent de catégorisation des objets.

Mais, pour que l’enfant n’ait pas à se déplacer continuellement avec ses cubes pour pouvoir montrer à ses interlocuteurs quelle couleur il reconnaît dans un nouvel objet, il doit utiliser le langage qui permet de substituer un mot à une catégorie mentale, en l’occurrence la couleur d’un objet, sous la forme d’un code signifiant-signifié. Le signifiant est l’image acoustique d’un mot. Le signifié est le concept, c’est-à-dire la représentation mentale d’une chose.

C’est ainsi que l’enfant apprend, par l’écoute,  à associer un mot descripteur avec chacune des couleurs des cubes. Pour l’enfant, les cubes sont devenus des référents de couleur, chacun associé à un mot descripteur :

Mais il lui faut aussi apprendre qu’il existe une certaine « élasticité » du mot descripteur, c’est à dire toutes les variantes de la couleur auxquelles l’enfant donnera la même dénomination. Les parents apprennent ceci à l’enfant en donnant le même nom à des couleurs d’objets pas nécessairement identiques : les cinq objets (grille-pain, bouilloire, cadre, lego® et tomate) de la photo ci-dessous sont tous qualifiés de « rouges » bien que les teintes ne soient pas exactement identiques.

Fig.1 Différents objets rouges: cela permet de concevoir les variations admises pour la dénomination « rouge » et, au-delà, de comprendre que c’est bien la teinte qui rassemble ces objets ;  c’est sur ce signal, isolé de tout autre, que l’on demande de porter attention

La diversification des objets permet à l’enfant de concentrer son attention sur le caractère coloré, déconnecté de son support et de ce qu’il peut évoquer:  fonctionnalité, hédonisme, affects, souvenirs etc. La couleur est la couleur sans plus. Ces quatre couleurs ne suffisent cependant pas à l’enfant pour parler de la couleur de tous les objets qui l’entourent. Il est nécessaire d’ajouter d’autres  référents, en les positionnant par rapport aux quatre premiers : par exemple l’orangé entre le rouge et le jaune, le violet entre le bleu et le rouge, le marron entre le vert et le rouge, etc. Cela crée peu à peu, dans l’esprit de l’enfant, un espace des couleurs structuré ; cet espace mental lui permettra de déterminer une perception colorée en utilisant une couleur proche apprise et nommée ou en l’intercalant entre deux ou trois.

Fig.2 Le violet, l’orangé et le marron s’inscrivent dans la structure

Si, dans un premier temps, il faut favoriser la justesse et la fidélité des réponses, on pourra demander à l’enfant grandissant, sans aller trop loin, d’augmenter le nombre de référents nommés afin d’avoir plus de précision dans sa description des couleurs. Une véritable précision ne peut être attendue que des coloristes professionnels qui peuvent garder en mémoire les références d’un nombre très important de teintes d’un nuancier.

Ce système d’apprentissage est le seul qui nous permette d’acquérir un langage commun pour le caractère considéré. L’emploi d’un système repère commun permet d’assurer une bonne communication au-delà des différences de perception individuelles.

Voyons maintenant s’il est possible de s’inspirer de cette démarche pour avoir un langage commun des odeurs.

Les défaillances de l’éducation olfactive

On peut se demander pourquoi l’humanité qui a su mettre en place, parfois depuis des millénaires, des outils de communication pour les couleurs, les formes, les sons, … avait si peu avancé dans le domaine des odeurs. J’y vois plusieurs raisons :

– L’immatérialité de l’odeur :

De même que la progression scientifique est restée bloquée jusqu’à Pasteur par la théorie aristotélicienne de la génération spontanée, la mise en évidence de l’activité d’une molécule pour créer ce qui est une perception olfactive, peut être attribuée à Friedrich Wöhler et Justus von Liegig par leur découverte de la première molécule « aromatique », le benzaldéhyde, seulement en 1832. Jusque-là, la relation entre la source et le nez restait mystérieuse, se faisant par une sorte de message divin qui ne pouvait naturellement pas être compris et encore moins être utilisé comme référent.

– La complexité des substances odorantes :

Il n’est pas rare de trouver plus d’une centaine de molécules odorantes dans un effluve odorant. Leurs proportions sont très variables selon la production, l’évolution et les circonstances d’emploi. Cela interdisait de prendre des substances naturellement disponibles pour fournir les signifiés du langage. En effet, comme s’est plu à le répéter Patrick Mac Leod : il n’y a pas de sujets standard. Pour ces raisons, nous réagissons différemment face à un mélange odorant : certaines molécules ne sont pas perçues par les uns, d’autres très faiblement, d’autres plus fortement, et leur prise en considération par notre cerveau dépend de nombreux éléments annexes (attention portée, autre information, vécu). En un mot ce serait présenter un mélange différent à chacun. et rien dans notre apprentissage ne nous permet de distinguer les différentes odorités qui en résultent. Il a donc fallu attendre l’accès à des molécules isolées, de pureté odorante assurée pour avoir un référentiel pertinent.

– La difficulté à comprendre ce que veulent dire les personnes :

Sans élément de référence concret, l’observateur ne dispose que du langage utilisé par chacun pour parler de ce qu’il perçoit avec beaucoup de subjectivité. Dans le cas de l’olfaction il lui est difficile de séparer ce qui revient à la cause (les molécules odorantes) de ce qui revient aux multiples effets que la perception peut induire sur lui.

Fig 3. La perception résulte du signal généré par les récepteurs sensoriels (représenté par le QRcode) et du traitement de l’information par le cerveau. Ce traitement peut faire intervenir de très nombreuses composantes cognitives comme indiqué dans cette figure.

L’erreur est souvent faite d’utiliser tous les à-côtés (analogies, métaphores, souvenirs…) comme des descripteurs du caractère odorant (que nous nommons par ailleurs « odorité » à la suite du Professeur Jacques Le Magnen : Jaubert J.N., 2011 Odeur et vocabulaire ; L’Eau, l’Industrie les Nuisances  n° 338 janv.,  p  61-65), ce qui complique la tâche du chercheur (par exemple une odeur devenue « nauséeuse » quand on l’a rencontrée en même temps qu’une indisposition).

– L’habitude :

Se contentant de pratiquer depuis la nuit des temps, une communication des associations et des effets ressentis de la perception par chacun, les humains ont du mal à la changer, d’autant que c’est la voie qui leur a été apprise dans leur petite enfance. Le labeur important et de longue durée demandé au petit enfant pour apprendre les couleurs, lui est imposé par les parents ; pour l’adulte c’est un effort et une remise en cause d’apprendre les caractères odorants.

On peut imaginer que, faute de l’apprentissage d’un langage pour parler des couleurs, il ne serait pas possible de demander à une personne : Quelle est la couleur de cet objet ?

La seule question à laquelle il pourrait répondre, un peu à la manière du test de Rorschach, est : A quoi vous fait penser la couleur de cet objet ? Alors, la personne ne décrirait pas la couleur de l’objet mais raconterait sa vie. C’est ce qu’il faut penser rencontrer dans les échanges sur les perceptions olfactives.

– On pourrait ajouter la fugacité des sensations olfactives qui implique une forte mise en jeu de la vigilance puis de la mémoire pour comparer les sensations. Il est plus facile de comparer les objets visibles, qui sont accessibles en permanence et commodément répétables, que les objets odorants.

La copie olfactive de l’éducation aux couleurs

Les avancées scientifiques de ces dernières décennies ne permettraient-elles pas de mettre en place un vocabulaire et même un langage des odeurs que nous pourrions apprendre tous en commun ?

Comme pour l’espace coloré, nous devons disposer dans l’espace odorant d’une répartitions de balises universelles, stables et bien identifiées, définies par des codes odorités/désignation. C’est en positionnant chaque élément de sa sensation olfactive parmi les odorités de molécules bien précises du système repère, qu’un sujet pourra décrire une perception en étant ainsi conduit à écarter de son expression tous les aspects subjectifs; évocation d’images ou de sources potentielles, souvenirs, ressenti hédonique…

Un tel vocabulaire nécessite d’avoir des jalons de référence odorants stables et bien identifiés. Il doit permettre d’écarter les aspects subjectifs de la perception du sujet (évocation d’images ou de sources potentielles, souvenirs, ressenti hédonique…). Nous avons pu voir que c’est par l’utilisation du caractère odorant de molécules précises que l’on pourra décrire les sensations olfactives induites par divers odorants, et non plus par des images, des souvenirs, des ressentis ou des sources.

Bien que notre système soit assez complexe, ce langage doit être simple avec un vocabulaire restreint. Nous avons cependant dû noter qu’il ne pouvait pas se résoudre à quelques mots comme pour les couleurs. Contrairement à la vision des couleurs, qui n’utilise que quelques pigments rétiniens, l’odorat repose sur la participation de plusieurs centaines de capteurs moléculaires travaillant par combinaison. La multi-dimensionnalité des perceptions olfactives est très grande. On peut percevoir une myriade de sensations olfactives, bien plus que de couleurs. 

Pour permettre la communication, ce langage, destiné à partager des descriptions, doit être appris en commun à commencer par le code de base. Ce code consiste en la création d’une relation biunivoque entre un nombre limité de « signifiés », pris dans l’espace étudié et clairement identifiés et leurs « signifiants » respectifs. Son unicité est donc un atout majeur pour assurer la communication entre tous.

Les signifiés sont les caractères odorants des molécules référentes clairement identifiées et pures (il s’agit ici de la pureté odorante différente de la pureté chimique). Elles doivent avoir une parfaite stabilité dans le temps.

Pour faciliter la communication il faut s’assurer que la collection de molécules de référence recouvre bien l’ensemble de l’espace des sensations olfactives. Pour faciliter les travaux il est bon qu’elles soient aisément accessibles et commodes d’emploi.

L’ensemble des références doit être structuré pour permettre l’apprentissage et aider à la localisation, dans cet ensemble, d’une sensation donnée.

Comment trouver ces signifiés référents ?

Nous avons proposé de tirer parti des résultats d’une étude conduite au CNRS entre 1977 et 1983 sur la recherche de la relation entre des éléments de structure chimique de 1.396 molécules et leur caractère odorant. Dès le début, nous nous sommes heurtés à l’absence de descripteurs objectifs pour définir le caractère odorant. La littérature et les publications scientifiques ne nous offraient que des évocations provenant des associations piochées dans les mémoires des vécus individuels. Cela laissait apparaître le manque cruel d’un langage commun.

Mais une utilisation appropriée des résultats de calculs probabilistes de la matrice complète ont permis de distinguer et de positionner des sous-ensembles de molécules. Ces sous-ensembles avaient des caractères odorants qui les distinguaient les uns des autres. Nous avons choisi une molécule facile d’accès, plus au centre de chaque sous-ensemble pour notre application. C’est ce qui a été nommé le « Champ des Odeurs »(Wikipedia 2021, Champ des odeurs).

Une description plus détaillée de l’élaboration de ce « Champ des odeurs » et de son utilisation pratique est disponible ici en téléchargement.

Dans sa dernière version, il comprend 44 molécules de référence, présentées ici sous un numéro et leur dénomination chimique et disposées en une structure à trois dimensions. le nombre de référents de base est ici de 44. Ponctuellement et pour des raisons particulières nous avons pu être amenés à ajouter quelques référents complémentaires piochés dans une liste numérotée de 46 à 92.

Les couleurs ont été attribuées en 1982 par des enfants de classes maternelles (Voir l’article de notre blog: Jaubert JN., 1986, Découverte des odeurs par des populations enfantines  Parf Cosm Arôme, n°72, p 73-77).

Fig. 4 : Représentation de la structure de l’espace issu de l’analyse des 1.396 molécules odorantes : le Champ des Odeurs (d’après Jaubert JN, 2022, Comment parler des nuisances odorantes  L’Eau, l’Industrie, les Nuisances N°452 p 84-97, mis en ligne le 2 juin 2022).

Les signifiants des caractères odorants des molécules de référence utilisés ont appartenu à plusieurs registres : les mots triviaux facilement accessibles à tous présentaient l’inconvénient de solliciter des évocations, les noms chimiques peuvent paraître rébarbatifs et compliqués pour des enfants, les numéros sont parfois pris pour des nombres et nous avons utilisé différents néologismes , par exemple des mots à deux syllabes (e.g. coume pour la coumarine, citre pour le citral, hexe pour l’hexénal, mole pour le menthol etc.). L’idée est que le mot ne fasse pas naître des évocations et qu’il soit utilisable pour différentes langues.

Nous disposons donc maintenant d’objets odorants clairement identifiés comme système repère pour pouvoir comparer leurs perceptions avec d’autres perceptions. On a pu décrire des couleurs avec des couleurs, on peut aussi décrire des caractères odorants par des caractères odorants et non par des images, des souvenirs, des ressentis ou des sources.

Muni de ce référentiel il est dès lors possible d’imiter l’apprentissage utilisé pour les couleurs.

Apprendre à décrire sa perception

En tout premier lieu, comme dans les cas des sens élaborés, il faut bien prendre conscience que sentir, comme voir ou entendre, n’a rien d’inné. Comme pour les couleurs, il faut APPRENDRE pour pouvoir traiter le signal fourni par les récepteurs sensoriels. Ce signal ne se définit que par sa qualité et son intensité, liées à la nature de la substance odorante, le cerveau se charge de lui accoler tout le reste plus lié au vécu du sujet.

La méthode suit le protocole suivant :

– un objet peut stimuler plusieurs sens qui peuvent activer plusieurs zones cérébrales. Les informations qui parviennent au stade de la cognition présentent donc de multiples facettes. Comme l’enfant a appris à isoler la couleur de toutes les autres informations et de toute sa propre subjectivité, par des répétition et des croisements d’information, il doit apprendre à isoler dans sa perception, la part de la sensation qui ne traduit que la réponse des capteurs olfactifs : la part des données que nous avons représentée par un QRcode sur la figure 3. C’est incontestablement la partie la plus délicate de la formation. Mais cela se réalise assez bien comme nous voyons un jeune enfant capable de focaliser son attention sur une brique du fait de sa couleur rouge pour être capable de la distinguer du reste de la construction de Lego® et être capable de l’isoler sur ce seul critère organoleptique. En fait les sujets améliorent leur efficacité au fur et à mesure qu’ils apprennent à jongler avec les notes odorantes. Des techniques de « flairage » et de manipulations de « mouillettes » s’acquièrent rapidement pour faciliter l’apprentissage en développant la vigilance de l’enfant.

positionner chaque élément de la nouvelle sensation, dans l’espace, non par une simple recherche de similitudes ou de dissemblances mais par la recherche des moindres distances comme nous le pratiquons avec les quatre couleurs et plus tard sur un nuancier.

La complexité de cet espace le réserve aux adultes mais il a été adapté aux capacités de l’enfant : le jeu « Atelier Odeurs », destiné aux 5-8 ans ne comportait que 14 points de repère :

Fig. 5 Le jeu Atelier Odeurs (NATHAN, 1991) . Pour la notice d’utilisation voir ce fichier

A ce stade il est possible d’attirer l’attention des enfants sur les différences de sensibilités entre eux afin de mieux appréhender les variabilités inter sujets ; cela permettra d’identifier et comprendre des lacunes qui ne peuvent pas manquer d’apparaître dans les dialogues.            

– la pratique de la méthode du Champ des Odeurs se fait dans une étape suivante qui va consister en l’analyse d’un mélange pour y reconnaître les différents éléments de la sensation. Le mélange de deux molécules peut soit être décortiqué (le nez exercé pouvant retrouver les deux notes) soit, plus rarement, créer une nouvelle note en cas d’accord.

Fig. 6 : Un mélange de deux signaux peut souvent donner différentes images mais les différents éléments restent identifiables par analyse. Le cas des accords requiert plus d’expérience pour voir les deux formes.

La démarche analytique a pour rôle de ramener une donnée complexe en une collection de données simples comme nous le faisons pour lire par exemple. Ce que font couramment les parfumeurs, aromaticiens, cuisiniers ou œnologues, reconnaître des éléments dans un mélange, est tout à fait accessible à tous avec une formation adaptée et revêt rapidement un aspect très ludique pour les enfants. Le décryptage du code comprend en fait deux volets atteignables par la transmission d’une méthode de travail de plus en plus affinée : par des exercices, pour accroître la vigilance de l’élève et par des exercices répétés, pour qu’il soit capable de distinguer la succession des sensations lui parvenant au cours d’un flairage appliqué. Si l’analogie pouvait être faite avec l’œil, nous pourrions estimer atteindre 10 caractères odorants par seconde mais cela nous semble difficile, 3 ou 4 parait être raisonnable.

C’est assez rapidement que nos sujets sont capables de retrouver deux odorités dans un mélange, puis trois, puis quatre… Ceci reste indispensable car pratiquement tous les odorants que nous croisons sont des mélanges d’odorités. Certes nous n’en trouvons pas tous les caractères odorants, mais la discussion avec d’autres sujets permet d’accroître son analyse et à plusieurs, il y a des chances de ne pas avoir omis l’essentiel si on a un référentiel solide et objectif commun à tous les sujets. Et si on évite l’effet d’entraînement des leaders…

Retrouver telle ou telle note dans le parfum d’une fleur, l’arôme d’un aliment ou le bouquet d’une lessive est un jeu extrêmement gratifiant pour ceux qui s’y prêtent. Nous transmettons dans cette étape un art de sentir qui est très formateur pour tous et permet à chacun de développer des connaissances du monde odorant, bien que les aspects les plus précis demandent un effort plus soutenu qui le réserve plutôt à des professionnels

– enfin, à partir de 12 ans, on pourra aller jusqu’à évaluer l’intensité de sa perception pour chaque note détectée pour compléter la connaissance de l’odorité. Le sujet positionne sa perception nouvelle sur ses perceptions d’une petite série ordonnée de concentrations (1 à 5 maximum, 2 assez distants suffisent pour des enfants) de quelques référents. Par la suite, pour plus de commodité avec des jurys d’adultes et dans certaines tâches comme un circuit d’observation de la qualité de l’air et avec des adultes, il est possible pour chaque sujet d’étalonner ses comportements vis à vis de la série de perceptions, sur une échelle en dix points.

Nous insistons sur le fait que cette formation n’est en rien originale et ne demande en fait pas tellement plus de temps que les dix huit mois avec un travail quotidien de quelques  poignées de minutes consacrées au jeune enfant pour apprendre quatre couleurs. Les formations complètes pour un jury spécialisé nous ont demandées une soixantaine d’heures mais, dans les classes primaires, pour une formation réduite qui permet de comprendre le système, nous disposions, à l’époque, de cinq matinées le samedi.

De plus, tant que l’ancrage n’est pas solidement installé et que les personnes font un usage courant de ce langage commun, il est nécessaire d’entretenir leur savoir. A cet effet, les sujets reçoivent un coffret contenant les dilutions (dans de l’alcool ou mieux dans la triacétine) des référents et des mouillettes, afin qu’ils puissent régulièrement y revenir et mieux en se joignant à d’autres complices (avec adaptation du matériel pour les enfants, par exemple odorants sur supports de paraffine solide ou de matière plastique adsorbante).

Nous sommes bien conscients que cette formation peut paraître lourde et ardue quand elle s’adresse à des enfants ou des adultes en âge de mesurer un effort. Mais c’est oublier le travail colossal effectué par le tout jeune enfant pour engranger toute forme de connaissance et d’outils de communication quand il démarre dans la vie. Il est vrai que nous, les adultes, ne lui laissons pas le choix. Les premiers mois sont très chargés pour mettre en place ces bribes de culture à partir de rien et le reste a toute la vie pour être complété. Et, bien sûr, le programme de formation doit être adapté à l’âge de l’enfant et il n’est pas possible de tout inculquer d’un seul coup (ne nous contentons-nous pas de quatre couleurs au début ?). Il faut un aspect ludique (Jaubert JN., 1991, Jeu : Atelier « Odeur »,  Nathan  Paris ) et simple comme nous l’avons indiqué pour le niveau de classe maternelle (Duchesne J., Jaubert J.N., 1989, Découvrons les odeurs  Nathan Paris ), sachant que l’on peut aller de plus en plus loin à partir de l’école primaire. Nous avons constaté un optimum de compréhension du concept à l’âge de 9 ans.

Conclusion

Les êtres humains, sociaux de nature, ont impérativement besoin d’échanger avec leurs congénères. Nous pouvons partager la nature de ces échanges en deux groupes qui coexistent toujours et pour toutes nos perceptions :

– ceux qui portent sur la personne : ses ressentis, ses émotions, ses goûts, la manière dont ils perçoivent des objets, souvent exprimée par des métaphores…. Ce sont des informations importantes dans notre vie et dans nos relations. Elles sont de nature strictement subjective que l’on ne peut étudier que par les sciences humaines.

– ceux qui portent sur le monde extérieur, les objets que l’on désire soit reconnaître dans toute leur complexité avec le remarquable travail de mémorisation des professionnels, soit décrire de la manières la plus objective possible pour en partager la connaissance qui sera utilisée à l’appréhension du monde. C’est à cette dernière démarche très concrète que le Champ des odeurs peut apporter son concours.

Nous avons pu montrer le parfait parallélisme que l’on pouvait faire entre couleur et odeur mais nous aurions pu prendre n’importe quelle autre perception qu’il s’agisse des sons, de la musique, des formes, des saveurs ou même des mathématiques. L’espace de l’olfaction n’est, certes, pas le plus simple mais son accès tardif à la science, n’en n’a pas facilité la familiarisation. En particulier, les humains n’avaient pas eu la possibilité de créer un « vocabulaire » et un langage comme ils l’ont fait avec d’autres perceptions. Les progrès scientifiques tant en chimie, en physique en physiologie et en sciences humaines nous ont permis une petite avancée dans ce domaine. Le Champ des Odeurs offre ce système de repères inhérent à toutes nos communications : un code de base, le vocabulaire élémentaire à la mise en place d’un langage. Son emploi depuis quarante ans dans différents domaines, différents pays et avec différentes langues, a pu montrer une bonne efficacité pour une approche purement descriptive. Il laisse par ailleurs toute sa place aux arts, aux émotions et aux souvenirs dans lesquels il n’entend pas intervenir sauf peut-être au niveau des substances odorantes utilisées.


Merci à Didier TROTIER pour son aide à la réalisation de cet article.